Quel pain voulons-nous ?
Par Gilles Héluin le samedi 24 décembre 2016, 17:56 - Livres-revues - Lien permanent
Auteur : Marie Astier
Editeur : Seuil/Reporterre
EAN 9782021331127
Journaliste dans l’équipe de l’excellent quotidien en ligne « Reporterre »,
Marie Astier nous entraine dans le monde du pain. A journaliste engagée, livre
engagé. « Quel pain voulons-nous ? » présente une enquête approfondie
de la filière, des semences au produit fini, en passant par les agriculteurs,
les meuniers et, bien sûr, par les boulangers.
De sa plume alerte et vivante, Marie nous fait découvrir comment le pain,
aliment de base que l’on pourrait croire simple et naturel, est de plus en plus
fabriqué de manière industrielle et contient bien souvent des additifs et
enzymes dont les impacts sur notre santé ne sont pas forcément bien
connus.
A l’origine de sa démarche, une question rarement posée à notre
boulanger : d’où vient la farine ?
Je me rappelle, amusé, la question que je posais quelques 20 ans en arrière
dans la boulangerie d’une petite ville du Loiret cherchant du pain bio :
« avec quoi votre pain est-il fait ? ». La réponse de la boulangère
nous surprit : « avec de la farine ! ». A cette époque pourtant,
la filière pain n’était pas autant industrialisée…
Devant la réponse embarrassée qu’elle a obtenu, Marie a voulu en savoir plus et
a commencé à « tirer le fil ».
Pour faire le tour de la question, la journaliste a visité les fournils, de
la chaine aux plus de 300 boutiques jusqu’à l’artisan passionné qui vit à peine
de sa production. Cachés derrière l’artisan, les meuniers. Peu nombreux, leurs
catalogues se ressemblent. De plus en plus la filière farine se resserre et les
meuniers deviennent des industriels. Heureusement ce n’est pas le cas de tous
et certains visent la qualité. Marie n’a pas rencontré les plus gros, et pour
cause, ils n’ont pas répondu à ses invitations d’interview. Comme quoi les
vampires de la farine, eux aussi, n’aiment pas que la lumière soit faite sur
leurs activités…
Quant aux boulangers, nombreux ceux qui ne peuvent se passer d’une farine
« améliorée » dont les additifs accélèrent le travail et facilitent
la constance d’une production de (piètre) qualité. Résultat, dans le pain
aussi, la diversité se réduit et la banalisation progresse.
Au fil des pages, Marie nous fait partager ses rencontres avec des
passionnés, des résistants encore peu nombreux à promouvoir et à proposer des
produits de qualité réellement artisanaux. Parmi eux, mon fils Rémi sensibilise
et alerte les boulangers depuis plusieurs années avec son blog « painrisien.com ».
La conclusion de l’ouvrage nous interroge : quel pain voulons-nous ?
Marie Astier l’affirme, la boulangerie, comme l’agriculture, s’industrialise et
est à la croisée des chemins. Le pain symbolise un choix de société. Le fournil
est, lui aussi un creuset d’inégalités sociales. Certains font le pain des
riches, d’autres celui des pauvres. Voulons-nous un monde dirigé par quelques
grands industriels ? Un monde uniformisé sans diversité ? Des
produits de piètre qualité ?
Saurons-nous entendre ces lanceurs d’alerte que sont Marie, Rémi, l’équipe
de Reporterre et bien d’autres ? Les boulangers choisirons-t-ils de bons
meuniers où cèderont-ils à la facilité des « améliorants » ? Nous,
consommateurs, saurons-nous, pourrons-nous choisir un bon pain, naturel, fait
par de vrais artisans ?
Marie, pas plus que quiconque ne sait répondre. Son excellent livre nous
apporte les éléments clé pour comprendre et réfléchir au pain d’aujourd’hui et
à celui que nous voudrions demain.
Il n’est pas sorti du four juste hier. Paru il y a quelques mois, il se
conserve bien et je n’en ai fait qu’une bouchée. Quel délice !